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Appel d’offres transport : est-ce le bon moment ?

20 mars 2023 Alexandre Vienney

Après deux années de hausses tarifaires importantes tirées par les prix de l’énergie et un déficit capacitaire marqué, la situation semble se détendre en ce premier trimestre 2023. Alors, est-ce le bon moment pour faire rentrer en scène les achats ? Comment poser le diagnostic ? Petit tour d’horizon. 

Baisse de la demande = baisse des tarifs ?
L’alignement du sourcing avec vos besoins
Le benchmark tarifaire
L’animation des transporteurs
L’optimisation technique du transport

Du point de vue d’un chargeur, il faut bien admettre que la situation pourrait sembler propice à la relance des processus d’appel d’offres. L’inflation tarifaire a été importante ces dernières années, avec une moyenne d’environ 5% (hors gazole) observée sur 2022. Les chargeurs ont subi en 2021 et en 2022 ces hausses sans avoir véritablement de leviers pour les limiter. 

Depuis au moins le deuxième semestre 2022, les volumes tendent à s’essouffler du fait des difficultés économiques rencontrées depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Du fait d’une capacité structurellement tendue, cette demande en berne a tardé à produire ses effets. Depuis le S4 2022, le rééquilibrage capacitaire semble acté et les tarifs spot ont entamé une dégringolade spectaculaire. Toutes proportions gardées, on observe le même phénomène que sur le maritime avec quelques mois de battement. 

Baisse de la demande = baisse des tarifs ? Quelques points d’attention 

Naturellement, cette baisse des tarifs spot devrait logiquement entraîner dans son sillage les tarifs contractualisés par le biais de renégociations et/ou d’appel d’offres. Mais, avant d’aller plus loin, il faut que les chargeurs soient conscients d’un certain nombre de points.  

Structurellement, le transport devrait continuer à se raréfier et à se renchérir, du fait de facteurs bien connus : pénurie de chauffeurs, difficultés d’approvisionnement croissantes pour les constructeurs de poids-lourds, prix de l’énergie, réglementation environnementale… On ne reviendra pas à la situation d’avant, où le transport était une simple commodité largement disponible. Certains marchés, comme la température dirigée, demeurent d’ailleurs très tendus. 

Les coûts de production des transporteurs demeurent très élevés à cet égard. Le CNR estime leur hausse totale à 18,5% en 2022, tirée notamment par les salaires (+12%) et le gazole (+46%). Bien sûr, la rentabilité des transporteurs a fait mieux que se maintenir grâce notamment aux mécanismes d’indexation gazole mais la situation reste fragile.   

En 2023, la hausse des coûts de production hors gazole devrait atteindre 9%. Dans ce contexte, il sera difficile pour les chargeurs d’aller chercher d’immenses baisses tarifaires. Du reste, ceux-ci s’attendent encore à 4% de hausse tarifaire hors gazole sur cette année 2023 : la baisse ne sera pas automatique, loin de là. 

Enfin, les besoins d’investissements dans la transition écologique et la digitalisation de l’activité sont importants chez les transporteurs, et sont le reflet des attentes des chargeurs. Là encore, la baisse potentielle des tarifs sera – et doit être – limitée par ce facteur.

En bref, le contexte est encore très ambivalent, et il n’est pas évident que le marché soit si favorable que cela aux consultations transport “à l’ancienne”. Il faudra regarder au cas par cas, et probablement cibler les périmètres d’activité les plus favorables avant de se lancer. Et, en amont, se poser beaucoup de questions.  

L’alignement du sourcing avec vos besoins 

Ces quelques considérations étant posées, on peut rentrer dans le vif du sujet : en tant que chargeur, devez-vous lancer un appel d’offres ?

La première partie de la réponse se trouve dans la qualité de votre sourcing : avez-vous la bonne prestation au bon endroit ? A ce stade, il n’est pas question de tarif, ni même forcément de prestataire.

Après les multiples crises de ces dernières années et les variations de volume correspondantes, il peut arriver que la découpe de vos segments de transport ne soit plus adaptée à vos profils d’expédition. Passer de 6 à 2 palettes par envoi (ou de 2 à 6) sur une ligne définie peut remettre en question le type de réseau ou de savoir-faire auquel vous aurez recours. Face à la spécialisation toujours croissante des prestataires, un réalignement régulier semble approprié tant d’un point de vue qualitatif que d’un point de vue tarifaire. 

De même, compte tenu de la tension capacitaire chronique que connaît le secteur, vous pouvez vous questionner sur le niveau de sécurisation de vos flux que vous apporte votre panel de prestataires. Êtes-vous en risque sur des lignes importantes en cas de défaillance de votre transporteur ? Ou au contraire, avez-vous trop de prestataires actifs sur un même périmètre, ce qui réduit d’autant l’attractivité de vos flux ?  

En bref, cette première analyse de votre sourcing doit vous donner des éléments de réponse quant à la pertinence d’une démarche achat. 

Le benchmark tarifaire 

Le benchmark est un exercice plus sensible qu’il n’y paraît. Il ne vaut que lorsque vous êtes à même de comparer des tarifs applicables à des prestations similaires, et avec des niveaux de contraintes très proches (volumétrie, rapport poids/volume, délai de livraison et délai de prévenance, heures de chargement ou de livraison, conditions contractuelles particulières…).  

Dans un contexte de baisse, vous devez aussi prendre en compte la “fraîcheur” des tarifs de benchmark, puisque des prix négociés il y a 6 mois ne sont plus représentatifs de ce que vous pourriez réellement obtenir lors d’une consultation.  

Et enfin, n’oubliez pas d’intégrer dans votre analyse vos besoins de digitalisation ou de décarbonation, qui se valorisent évidemment chez les transporteurs. Vous l’avez compris, le benchmark vous donnera une fourchette de prix pour chaque ligne, mais l’analyse de la validité de ces prix pour vos besoins et dans votre contexte reste à faire. L’exercice vous éclairera notamment sur les périmètres prioritaires à adresser dans le cadre d’un appel d’offres.   

L’animation des transporteurs 

À ce stade, vous vous êtes fait une idée de l’adéquation de vos prestations et de vos tarifs avec vos besoins.  Mais toutes nos enquêtes le montrent, c’est désormais la notion de partenariat qui va primer entre chargeurs et transporteurs. Loin de s’arrêter à l’appel d’offres ou à la négociation annuelle, l’achat de transport passe aussi par une animation sérieuse et continue de vos transporteurs réguliers.  

Les échanges pluriannuels à différents niveaux de vos entreprises vous permettront de gagner en connaissance du marché, en compréhension de vos contraintes et besoins respectifs. Le partage des constats et la co-construction de votre relation seront bénéfiques de part et d’autre.  

Dans l’idéal, votre partenaire aura des solutions intéressantes à vous proposer, ce qui vous allègera considérablement la tâche. Dans tous les cas, une relation resserrée et de confiance aura des effets bénéfiques sur la sécurisation de vos flux, sur la qualité de service et bien sûr sur le coût “all-in” des prestations.  

Vous devez donc logiquement vous entourer de partenaires réceptifs à ce type d’échanges, et vous donner les moyens de les mettre en place et de les animer. C’est une bonne pratique qui vous rendra également plus attractif sur le marché des transporteurs.  

L’optimisation technique du transport 

A ce stade du raisonnement, il devient évident que le volet tarifaire ne représente qu’une partie de l’équation. Dans un environnement aussi complexe et incertain, il est indispensable de ne pas réfléchir à périmètre constant et de ne négliger aucun driver de coûts.  

En tant que dernier maillon de la supply chain, le coût de transport est souvent la résultante de décisions ou d’organisations situées bien en amont et, il ne faut pas s’y tromper, le niveau des tarifs n’explique pas l’intégralité des hausses de coûts que vous constatez. Dans un contexte de crises multiples et rapprochées, il est probable que votre entreprise ait pris un certain nombre de mesures d’urgence afin de sécuriser l’activité (recours au spot…). Ces mesures supposément provisoires se sont peut-être pérennisées et contribuent à la hausse des coûts. 

 A l’inverse, votre entreprise n’a peut-être pas pris en compte la raréfaction et le renchérissement structurels du transport et s’appuie sur des schémas datés. Cela peut concerner directement le transport comme, en amont, le lead time cible, la prise de commande, la préparation… Traditionnellement, l’optimisation du transport est dépriorisée par rapport à ces autres maillons de la supply. Ce postulat reposait sur un transport perçu comme ressource infinie et abordable, il n’est plus valable. 

Réduire les fréquences de livraison, allonger le lead time, restreindre les modalités de prise de commande, accroître le stock, réorganiser la préparation… Tous ces tabous de l’ère du juste-à-temps sont voués à être mis sur la table, car ils peuvent produire des effets spectaculaires sur des coûts de transport qui ne sont désormais plus négligeables. 

Un exemple très concret : l’un de nos clients a décidé de ne plus prendre en charge les surcoûts transport liés aux commandes urgentes effectuées par ses franchisés, qui sont désormais « contraints » de mieux planifier leurs besoins. De fait, cette pratique désormais « sanctionnée » financièrement s’est réduite à la portion congrue, avec d’importantes réductions de coût de transport aval à la clé (environ 10%). 

Un appel d’offres transport doit nécessairement intégrer cette dimension à l’heure actuelle. L’inverse reviendrait à se priver d’importants gisements d’économies et à positionner des prestations durement négociées sur des flux structurellement sous-optimisés. 

En résumé : l’appel d’offres transport, oui ! Mais le diagnostic préalable est clé.

On vous en parlait dans notre cahier de tendances : la consultation « à la papa », focalisée agressivement sur les tarifs pour un périmètre découpé à la hache, a vécu. Il faut désormais beaucoup plus travailler en amont : sur la segmentation de l’activité, sur les offres de service, sur les tarifs cibles également. Il faut surtout se poser la question de l’opportunité d’y aller lorsqu’on entretient une relation privilégiée avec ses transporteurs qui pourraient peut-être répondre à beaucoup de vos enjeux. Plus que jamais, la phase de diagnostic est critique pour maximiser le ROI et capter les réelles opportunités de réduction de coût et de sécurisation. 

Au travers des interviews de 7 experts de bp2r & Sightness se dessine un état des lieux et des éléments de perspectives pour guider vos réflexions stratégiques à venir.