0

Optimisation de tournées : les habitudes ne suffisent plus

14 octobre 2020 Xavier Villetard
CC Vincent Desjardins

L’optimisation de tournées est un enjeu clé du transport de marchandises : c’est une composante indispensable d’un service compétitif et rentable sur le dernier kilomètre, le plus sensible. Pourtant, il est généralement assez mal adressé par les transporteurs, qui se reposent trop sur les connaissances et les habitudes de leurs exploitants.

Le transport de marchandises est un secteur le plus souvent fragile, où la marge, et donc les capacités d’investissement en propre, sont limitées. De fait, les professionnels du transport s’appuient souvent sur des outils datés et/ou inadaptés, dont ils sont habitués à compenser les lacunes grâce à une parfaite connaissance de leur métier, de leurs donneurs d’ordres et de leurs destinataires.

Ce constat n’est pas seulement vrai pour les problématiques périphériques au cœur du métier des transporteurs : si la planification et l’exécution opérationnelle pure sont désormais assez bien couverts par des TMS, d’autres sujets sont encore souvent traités sans outils digitaux dignes de ce nom. C’est notamment le cas de la constitution, de l’optimisation et du suivi des tournées de livraison.

Un travail de planification encore largement assuré par les exploitants

On estime qu’à ce jour, le taux d’équipement des transporteurs en matière d’outils d’optimisation de tournées, ou solveur, est très faible – environ 10%. Ces outils permettent de planifier les tournées de distribution en amont de leur exécution – approche batch – voire de les optimiser et de les modifier en temps réel – approche incrémentale. Le suivi de ces tournées est généralement bien assuré, notamment grâce à l’informatique embarquée des véhicules, mais tout le versant planification/optimisation n’est pas couvert par le moindre outil.

Dès lors, comment le travail est-il fait ? Là encore, c’est l’humain qui assure, seul, l’entièreté du rôle de planificateur de tournées. On retrouve en général à ce poste des profils expérimentés, en place depuis un certain temps, mettant à profit leur connaissance fine de l’entreprise, de son activité et des habitudes de ses clients pour planifier des tournées optimales.

CC Alessandro Caproni

Et le travail est souvent très bien fait. Il faut se garder d’une foi absolue dans les outils : les optimiseurs de tournées les plus pointus ne feraient pas mieux que les exploitants aguerris qui occupent ce rôle chez de nombreux transporteurs. A vrai dire, ils feraient sans doute moins bien, puisqu’ils seraient à priori incapables de tenir compte de toutes les subtilités intégrées au fil des années. « Le client A préfère être livré de telle heure à telle heure, mais pas le jeudi car le jeudi c’est un autre qui réceptionne la livraison et cela nécessite tel ou tel ajustement » par exemple.

Pourquoi l’humain ne suffit plus

Dans ces conditions, on peut légitiment se demander exactement ce qu’apporteraient des outils d’optimisation digitaux. La réponse à cette question tient à deux dimensions : l’une est structurelle, l’autre conjoncturelle.

Structurellement déjà : le postulat de départ est que la Machine est incapable de reproduire le travail de l’Homme. Un postulat qui, d’ailleurs, est vrai pour bien d’autres activités que la planification de tournées de distribution. En revanche, cela rend-il les optimiseurs « digitaux » inutiles pour autant ? En réalité, si l’on décompose le travail de planification des exploitants, on retrouve deux parties. La première est très basique, il s’agit d’établir un plan de tournée logique en fonction des informations à disposition : créneaux, distances, routes, contraintes de circulation etc… C’est sur la seconde que tout se joue : au résultat obtenu, l’exploitant greffe sa connaissance unique, acquise à force d’expérience.

Celle-ci est irremplaçable. En revanche, la première est somme toute assez « simple » et, pourtant, chronophage et pénible à réaliser. Les compétences mobilisées sont assez sommaires. L’intérêt de la transformation digitale est justement de décharger l’exploitant de ce travail ingrat, afin qu’il puisse se concentrer sur ses compétences à forte valeur ajoutée et les appliquer à d’autres sujets sur lesquels il ne peut se pencher par manque de temps. En fait, les solveurs sont des soutiens, des simulateurs, qui proposent aux hommes des scénarii d’optimisation que ces derniers vont amender et compléter avant d’en valider le résultat. In fine, c’est un sujet de productivité et d’efficacité.

A l’intérêt de l’exploitant s’ajoute celui de l’entreprise : aucune organisation n’est viable à long terme si elle ne se repose que sur la compétence et les connaissances de quelques individus. L’expérience et les habitudes de ces exploitants ne sont pas éternelles, et la question de la pérennité de la démarche se pose en cas de départ de l’entreprise ou même pendant les congés. Rien n’est pilotable, rien n’est reproductible, rien n’est gravé dans le marbre sous forme de données et de paramètres fiables et solides.

La crise sanitaire et économique rebat les cartes

Bien sûr, on pourrait objecter que les arguments invoqués jusqu’ici portent sur des problèmes de riche : cela pourrait être mieux mais, après tout, cela fonctionne très bien comme ça. Cela aurait été vrai jusqu’au mois de mars 2020.

Evidemment, la crise sanitaire a changé la donne. On pourrait revenir longuement dessus : au plus fort des mesures de confinement, les flux alimentaires ont cru soudainement, le B2B s’est effondré et tandis que le B2C, tiré par le e-commerce, a explosé. La suite est évidente : comment des organisations basées sur l’expérience et les habitudes pourraient-elle fonctionner efficacement dans un contexte aussi inédit qu’imprévisible ?

On aurait tort de croire que cette situation de ruptures brutales d’équilibres s’est résolue à la fin du confinement. D’une part, la trajectoire sanitaire de cette fin d’année 2020 est inquiétante, et rien n’est à exclure. D’autre part, la crise sanitaire risque d’accoucher d’une crise économique qui s’annonce massive et globale. De fait, d’autres changements majeurs sont à prévoir dans les équilibres de flux, avec une activité qui s’annonce erratique et irrégulière – ce qui aura bien sûr des conséquences sur les tournées côté transporteurs.

Pour permettre aux exploitants de consacrer leurs capacités à la gestion d’imprévus, il faut impérativement les soulager des tâches où leur valeur ajoutée est plus limitée.

Un paysage de solutions en mutation

Nous en sommes convaincus : les outils d’optimisation de tournées vont devenir indispensable à assez court-terme. Toutefois, il faut s’assurer que les freins qui faisaient jusque-là obstacle à leur déploiement à grande échelle aient été levés.

Paysage de la digitalisation du transport – bp2r

Historiquement, les solveurs sont des outils lourds, extrêmement puissants dans leurs fonctionnalités et totalement personnalisables. En revanche, ils sont longs et coûteux à déployer, et pénibles à prendre en main et à maintenir. Du reste, beaucoup de transporteurs ont abandonné en rase campagne des outils mis en place à grands frais car leurs exploitants perdaient trop de temps à tenter de les utiliser convenablement. Ce type de solutions, portées par les éditeurs historiques, sont parfois indispensables dans le cadre d’une activité complexe. Soyons clairs, il est difficile de sélectionner et déployer sereinement ces logiciels sans se faire accompagner dans la durée.

En revanche, d’autres solutions, plus simples, plus standardisées et plus abordables ont émergées ces dernières années. Si elles demeurent plus « minimalistes » en termes de fonctionnalités proposées et de performance d’optimisation, elles ont le mérite d’être accessibles à bien plus de prestataires de transport.

Attention toutefois, le marché évolue rapidement et demeure, de fait, difficilement lisible. Les prestataires souhaitant s’y aventurer doivent avoir une connaissance précise de leurs besoins, identifier les solutions qui y répondent, les éprouver via des POC et être particulièrement vigilants lors du déploiement. En effet, il est impératif d’embarquer les équipes dans le projet et d’obtenir leur adhésion.

Crédit photo principale : CC Vincent Desjardin