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Entre Vignette Poids Lourds et Eco-Transport, quelle future taxation pour le TRM ?

12 juillet 2019 Xavier Villetard

L’actualité du transport routier de ce début d’été fut marquée par les complexes négociations de la Loi d’Orientation des Mobilités, ou loi LOM. Alors que la problématique du financement des infrastructures a été soulevée par le Ministère, deux projets de nouvelle taxation se sont fait face, ont occupé les débats et ont divisé les acteurs du secteurs. Une opposition forte que nous allons tenter de détailler et d’éclaircir.

Il est coutume de dire de l’histoire qu’elle est un éternel recommencement. Le récent débat qui entoura les négociations de la Loi d’Orientation des Mobilités (dite loi LOM) n’est à cet égard pas sans rappeler celui qui a marqué feu le projet écotaxe. Le gouvernement a changé depuis mais l’idée reste la même : créer une nouvelle taxation sur le transport routier de marchandise (TRM) afin de financer les entretiens et renouvellements des infrastructures et encourager la transition écologique.

Votée à l’Assemblée Nationale le 18 juin 2019, la loi LOM a vu s’opposer deux propositions de taxations pour le TRM. La première, défendue par le Gouvernement et le Ministère d’Elisabeth Borne, prend la forme d’une vignette Poids Lourds que devront acheter les transporteurs.  Les organisations professionnelles de transporteurs ont répondu en proposant Eco-Transport une taxe visant les donneurs d’ordres et soutenue par les députés, notamment de la majorité. Du fait des désaccords entre ces différentes parties prenantes, la forme de la prochaine taxation n’a pas été décidée dans ce vote, et semble donc vraisemblablement reportée au vote de la loi finance 2020 qui aura lieu à la rentrée. Ce report souligne les incertitudes entourant la question. Apportons ici quelques éclaircissements.

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La première solution qui fut proposée et débattue est la Vignette Poids Lourds. Il s’agit d’une taxation temporelle de laquelle devront s’acquitter tous les transporteurs opérants en France. Ce projet est impulsé par le Ministère des Transport, qui s’y est accroché malgré les contestations et rejets particulièrement explicites des professionnels. Pour apaiser les critiques, le gouvernement a martelé que cette vignette pourrait être conçue de façon à cibler exclusivement les transporteurs étrangers. Il suffirait de rembourser les transporteurs français du coût de la vignette, afin que cette dernière devienne indolore. Ce remboursement pourrait prendre la forme d’une exonération sur une autre taxe (comme la TICPE). La vignette serait dans ces conditions une solution miracle, taxant seulement les camions étrangers et permettant de financer les infrastructures françaises.

Dans les faits, bien entendu, les choses sont loin d’être aussi évidentes. En premier lieu, car la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), dans un arrêt du 18 juin, a déclaré illicite la mise en place d’une vignette discriminatoire pour les étrangers, ce que semblait vouloir instaurer Elisabeth Borne. Elle se prononçait alors sur le contentieux entre l’Autriche et l’Allemagne, la première reprochant à la seconde l’instauration d’une taxe autoroutière discriminante pour les étrangers -et qui prenait la forme d’une vignette. En second lieu, car le Parlement européen a modifié en octobre 2018 la directive Euro redevance, et notamment son volet sur la tarification de la route. Ainsi, elle stipule désormais que les Etats membres qui ont mis en place des vignettes forfaitaires pour les poids lourds devront les abandonner en 2023 au profit d’une tarification kilométrique. Ces deux éléments combinés mettent à mal le projet de vignette PL. En effet, elle ne pourrait pas épargner les transporteurs français et semble déjà condamnée à disparaître à court terme. Dans le « meilleur » des cas il s’agirait d’une taxation qui ne vivrait que 3 ans si tant est qu’elle soit votée en 2019, ce qui n’est pas garanti.

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Face à cette proposition, les organisation professionnelles ne se sont pas contentées de protester. Elles sont arrivées dans les débats avec une véritable alternative à la vignette, baptisée Eco-Transport. Comme on pouvait s’y attendre, cette taxation épargnerait les transporteurs, au détriment des donneurs d’ordres. L’idée ici est de les responsabiliser face à la pollution dont ils sont commanditaires. Un argument qui se rajoute à la volonté pécuniaire des transporteurs d’éviter toute nouvelle taxation sur leur activité. Il s’est avéré que cette solution a beaucoup séduit les députés de l’Assemblée Nationale, notamment parmi la majorité. Eco-Transport propose de taxer un chargeur en fonction du CO2 émis par l’opération de transport dont il est à l’origine, à l’exception notable des opérations d’exportation. Cette proposition encouragerait donc les chargeurs à recourir à des modes de transports plus propres tout en préservant la compétitivité des entreprises françaises à l’international.

Mais des failles demeurent dans Eco-Transport. La plus flagrante d’entre elles est que, par définition, taxer les chargeurs signifie taxer le transport lors de son envoi. Or, les étrangers demeureront donc hors de portée de ce système puisque l’Etat français ne peut pas appliquer sa fiscalité à l’international. Les chargeurs étrangers ne participeront ainsi pas à l’entretien des infrastructures qu’ils utilisent. On pourra également mentionner l’enjeu des retours à vides, exclus de son périmètre. Des problématiques que résolvait notamment feu l’écotaxe, un projet dont la mort fut causée par le rejet des professionnels (du moins les plus virulents d’entre eux). Ainsi, Denis Choumert, président de l’Association des Utilisateurs de Transport de Fret (AUTF), représentant des chargeurs, s’est assez logiquement positionné en faveur des orientations gouvernementales, notamment sur les présumées limites de la proposition des transporteurs. Il regrette que les sujets de la taxation de la pollution et celui du financement des infrastructures soient amalgamés, et pointe les faiblesses d’Eco-transport. Il déplore notamment un flou quant aux modalités d’applications du principe du pollueur-payeur. Il s’interroge notamment sur la base de la taxation, qui devrait être une répartition équitable des responsabilités entre les différents acteurs. Il souligne surtout l’impact qu’aurait Eco-transport sur la compétitivité des chargeurs français vis-à-vis de leurs confrères européens. Pour lui, une telle approche devrait s’appuyer sur une fiscalité européenne renouvelée, permettant ainsi de taxer sans créer de distorsion concurrentielle. Mais une telle réforme fiscalité n’est pas à l’ordre du jour, et le temps politique européen s’illustre rarement par sa rapidité.

La question qui se pose alors est de savoir s’il est possible de mettre en place une taxe qui réponde à toutes les attentes que l’on pourrait légitimement avoir, à savoir :

  • Efficace, qui serve son objectif
  • Juste et ciblée (pollueurs payeurs)
  • Aveugle (touche tous les acteurs utilisant le réseau, même les étrangers en transit)
  • Suffisamment lucrative pour l’Etat
  • Indulgente avec un secteur du TRM à la santé fragile
  • Simple à mettre en œuvre
  • Compatible avec le droit européen

Concilier autant de facteurs dans une taxe unique serait réussir un jeu d’équilibriste particulièrement ardu qui soulève en lui-même de nouvelles question. Si l’on veut que cette taxe soit universelle, devrait-on taxer les camions, élément omniprésent du TRM et partagé par tous ses acteurs ? Mais comment alors épargner les transporteurs français ? Et inversement, si on vise les chargeurs, comment intégrer les étrangers utilisant le réseau français ?

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En définitive, s’il est une chose qui ne peut être débattue, c’est la double urgence à laquelle nous devons faire face. Un rapport parlementaire publié le 27 juin dernier souligne le réel besoin en rénovation des ponts français. Dans la continuité de la catastrophe du pont de Gênes qui avait coûté la vie à 43 personnes il y a presque un an, ce rapport établi que près de 25.000 ponts sont dans un « mauvais état structurel et posent des problèmes de sécurité ». Ce chiffre est représentatif du vieillissement et de la nécessaire rénovation des infrastructures françaises. De l’autre côté se trouve l’urgence climatique, une urgence qui n’est plus à prouver. L’enjeu sera donc de réussir à concilier cette double urgence avec les enjeux du secteur du transport. Celui-ci, méfiant, a annoncé d’ici la rentrée des manifestations et prédit des débordements en réponse à l’annonce du gouvernement d’augmenter la fiscalité pesant sur les transporteurs. Car le gouvernement a annoncé début juillet 2019 vouloir mettre en place 6 nouvelles taxes qui pèseront sensiblement sur le secteur et qui ont fait bondir les professionnels du secteur. Un emportement qui n’a pas été calmé par l’annonce d’une diminution du remboursement de la TICPE faite le 9 juillet par le gouvernement. La rentrée 2019 s’annonce déjà tendue, sinon conflictuelle. De quoi faire oublier, et c’est regrettable, les urgences qu’il faut surmonter au plus vite.