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Elections européennes 2019 : quel(s) impact(s) pour le transport ?

2 juillet 2019 Xavier Villetard

Un mois après les élections européennes, les premières nominations aux postes clés sont annoncées. Après la Commission et la Banque Centrale, c’est au tour du Parlement de voir nommer son Président, l’italien David Maria Sassoli. Anciennement vice-président du Parlement, il était également membre de la commission pour le transport et le tourisme. Ses engagements en faveur du ferroviaire et du paquet mobilité soulignent une considération certaine pour le transport de marchandises. Cette nomination semble donc être de bonne augure pour le secteur et nous permet de nous interroger sur les impacts des résultats des élections européennes sur le transport de marchandises et ses enjeux. 

En avril dernier, le Parlement Européen a adopté le volet social du paquet mobilité. Bien que cette adoption fût longue et délicate, à l’image des débats qu’elle a suscité entre les pays membres, elle représente une avancée majeure pour le transport de marchandises en Europe.  Or, la nouvelle réglementation qui devrait suivre ce volet social sera discutée au sein du trilogue européen entre le Parlement, le Conseil et la Commission. Dans cette optique, la recomposition du Parlement induite par les élections de fin mai 2019 pourrait être lourde de conséquences sur l’avenir des considérations sociales du transport routier.

Quelles étaient les attentes pour cette élection pour le secteur du transport ?

Bien que généralement sous-estimées dans leur importance, les élections européennes ne sont pas pour autant dépourvues d’enjeux. Pour le transport, les enjeux en question ont été exprimés par les organisations professionnelles, généralement au travers de manifestes. Ainsi, l’Association Européenne des Transporteurs Routiers (UETR) a défini les 5 priorités à considérer pour la prochaine mandature (2019-2024). Bien que peu surprenantes, ces priorités soulignent quelles sont les préoccupations des professionnels du secteur. Ainsi, parmi les priorités, la première citée est la compétitivité, ce qui doit être mis en perspective par le clivage est-ouest sur le transport de marchandise. Ici, l’UETR demande à la fois que soit garantie une concurrence loyale et équitable à l’échelle européenne et que soit établie une législation « claire, applicable et uniforme » à cet égard. Une référence directe au paquet mobilité qui en dit long sur les préoccupations des fédérations membres de l’organisation, davantage positionnées à l’ouest. La deuxième priorité est celle de la main d’œuvre, avec notamment la mention des problématiques de la pénurie de chauffeurs et de la considération sociale du secteur. Viennent ensuite la numérisation et l’environnement, ce qui n’a rien d’étonnant : il s’agit clairement des deux grands défis contemporains du transport de marchandises. Enfin, le Brexit, est également placé comme une priorité par l’organisation. Car l’Angleterre représente un fort demandeur en transport routier au vu de ses importations et échanges avec le Vieux Continent. L’UETR ne souhaite donc pas voir partir un marché d’importance et qui lui est plus ou moins dépendant et appel de ses vœux un Brexit doux et propice à son activité.

Mais l’UETR n’ai pas la seule organisation à avoir publié un manifeste sur les enjeux des élections. La Fédération Nationale du Transport Routier (FNTR) s’est de son côté positionnée sur l’avenir du transport routier en Europe sur les 5 prochaines années. Parmi les différents thèmes évoqués, encore une fois, on ne retrouvera pas de vraie nouveauté. Ce manifeste reprend la plupart des positions françaises, que ce soit sur les volets économiques, sociaux ou environnementaux. En parallèle, le manifeste rappelle la prégnance de la problématique de l’attractivité du métier de chauffeur et demande la création de groupes de travail européens sur cette question. La principale innovation présente dans ce manifeste réside dans le volet de la numérisation, pour lequel de véritables propositions ont été émises. Celles-ci concernent notamment la sécurisation et la standardisation des échanges de données dans le cadre du transport.

En dehors de la France, la fédération de transporteurs italienne Assotir s’est aussi prononcée avant les élections, mais pour délivrer un message sensiblement différent. En effet, c’est un appel aux urnes qu’Assotir a lancé à l’intention des professionnels au travers d’un éditorial publié sur son site. Au long de ce dernier, l’association déplore que les élections européennes soient vues davantage comme un référendum sur le soutien au gouvernement que comme de réelles élections avec leurs enjeux propres. Claudio Donati, auteur de l’éditorial et n°2 d’Assotir, le souligne bien : « on vote pour une chose, le renouvellement du parlement européen, mais on décide pour une autre, l’avenir du gouvernement italien ». Donati continue en rappelant l’importance de l’issue du vote pour le secteur, notamment au regard du nécessaire contrôle de la concurrence. Il déplore que ces enjeux soient oubliés et demande donc aux professionnels de se mobiliser pour la profession en votant. La teneur de ce message illustre très bien la principale faille des élections européennes, bien souvent ramenées à la simple échelle nationale.

Quelle position française pour le transport ?

En France, les compositions qui sont sorties gagnantes des élections, sont le Rassemblement National (RN), la République en Marche (LREM) et Europe Ecologie les Verts (EELV). A elles trois, ces compositions rassemblent un peu moins de 60% des voix et quelques 55 sièges sur les 74 accordés à la France. Elles constitueront donc la majorité de la délégation Française à Strasbourg et passant, leurs positions auront un poids indéniable dans la représentation française.

Or, il s’avère que ces listes, ô combien opposées en France, se rejoignent sur de nombreux points dans leur approche du TRM. A peu de choses près, elles défendront des positions proches au sein de l’hémicycle. Toutes trois soutiennent un renforcement de la directive sur le travail détaché, associé à un certain encadrement de la concurrence -jugée déloyale- des pays de l’Est. Cette position partagée connait cependant des nuances selon les mouvements. Ainsi, le RN demande un encadrement et un contrôle bien plus poussé que ses homologues. Jordan Bardella souhaite même que les contrôles soient effectués directement dans les locaux des entreprises étrangères. LREM reste de son côté plus mesuré sur ses exigences, avec la seule volonté de voir déployer un système de chronotachygraphes intelligents d’ici 2022 pour renforcer les contrôles. De leur côté, les Verts se contentent de rappeler l’importance de la question du travailleur détaché sans particulièrement l’enrichir de nouvelles idées. En revanche, et c’était à prévoir, la position EELV sur l’environnement est bien plus renseignée et va plus loin que les autres. Ainsi, Yannick Jadot défend tout d’abord un développement des réseaux de fret ferroviaires et fluviaux afin d’encourager le report modal. Il évoque ensuite la mise en place d’une redevance kilométrique pour tous les véhicules, avant de critiquer les aides accordées au TRM. Enfin, il termine en déclarant vouloir obliger les constructeurs à développer et innover dans le sens des motorisations alternatives.

Cette ambition d’EELV, si elle est essentielle pour un mouvement écologiste, s’est retrouvée dans de nombreux programmes parmi les candidats français. Bien que les idées divergent, elles soulignent néanmoins l’importance de l’environnement en tant que sujet à part entière. Si tous les candidats ne considèrent pas le TRM dans leur programme, il existe dans les programmes français un certain consensus écologique. Ce consensus porte tant sur la simple nécessité d’agir que sur la responsabilité du transport face à cet enjeu.

Or, des mauvais esprits souligneront qu’il ne s’agit là que de simples engagements de campagnes, et que la présence de considérations environnementales dans ces programmes pourrait être apparentée à du greenwashing. Aujourd’hui, un candidat en campagne ne peut plus décemment négliger l’environnement dans son programme s’il veut être élu. Mais quoi qu’il en soit, il demeure que les principaux programmes français se rejoignent sur le sujet du TRM et sur la vision qu’ils en ont pour l’Europe.

A l’échelle européenne, à quoi s’attendre pour le TRM ?

Après avoir détaillé les programmes des partis français pour le TRM, la logique voudrait que le même exercice soit effectué vis-à-vis des partis européens. Les positions, une fois identifiées pourrait être mises en perspective avec le nombre de siège pour tenter de prédire les orientations et tendances du Parlement. Or, il s’avère que cet exercice ne serait pas réellement pertinent pour le TRM. Si l’on s’intéresse au détail des votes des parlementaires sur le fameux paquet mobilité*, on peut s’apercevoir que les dynamiques de vote ne suivent pas tellement les schémas des partis politiques. Les moyennes de cohésion sur ce vote sont parlantes : 59.45% de cohésion par groupe politique contre 72.25% par pays. Les votes au Parlement semblent donc suivre davantage les nationalités que les affiliation politiques sur la question du paquet mobilité.

Si les enjeux nationaux semblent donc primer, et dans la mesure où ils n’auront pas fondamentalement changé en quelques mois, on peut s’attendre à ce que les camps et les positions se maintiennent sur cette question au sein du Parlement européen. En définitive, il semblerait que le clivage sur la question du TRM survive aux élections puisqu’étant plus une affaire de stratégie économique nationale.

Il ne faut pas pour autant croire que ces élections n’auront rien apporté au TRM. Le simple fait que des campagnes aient été menées, que les enjeux aient été discutés et surtout, qu’une réflexion ait été conduite, est une bonne chose pour le secteur et son évolution au moyen terme.

Entre le vote du paquet mobilité et ces élections, le TRM s’est retrouvé à plusieurs reprises sous le feu des projecteurs au cours de l’actualité récente. Reste à espérer que les futurs élus auront pris la mesure des enjeux auxquels ils devront répondre durant leur mandat.

* Pour le détail des votes : https://www.votewatch.eu/en/term8-daily-and-weekly-driving-times-minimum-breaks-and-rest-periods-and-positioning-by-means-of-tachograp-31.html#/##vote-tabs-list-2