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2022, année de crise(s) pour le transport ? Les 6 questions à se poser.

20 avril 2022 Alexandre Vienney

Entre les conséquences de la pandémie, la crise capacitaire généralisée et le conflit russo-ukrainien, le marché du transport de marchandises traverse une année 2022 compliquée. Plus largement, il vit depuis plusieurs années au rythme de crises aussi soudaines que variées. La crise est-elle la nouvelle norme pour le transport de marchandises ? Si oui, les chargeurs vont devoir se poser un certain nombre de questions.

Au terme de ce premier trimestre 2022, on ne peut pas dire que l’optimisme soit de mise sur le front du transport. Le secteur demeure fragilisé par les deux années antinomiques qu’il vient de vivre : effondrement de l’activité en 2020 (sauf e-commerce) et rebond vigoureux en 2021. Du fait de ces injonctions diverses et contradictoires, la capacité sur les fronts routiers, aériens et maritimes est très tendue. En ajoutant à cela une hausse continue des prix du carburant, l’inflation est nette sur le routier et incontrôlable sur l’overseas.

Il faut désormais intégrer à cet ensemble les conséquences de la guerre russo-ukrainienne. L’impact immédiat est direct : lignes à éviter, tensions capacitaires supplémentaires avec le retrait des chauffeurs ukrainiens et inflation des prix du gaz et du gazole. On pourrait aussi parler de la reprise épidémique en Chine…

Dans ce contexte, l’incertitude plane : si l’offre de transport devrait largement souffrir de cette situation, la demande pourrait aussi se réduire du fait des potentielles conséquences économiques de la situation ukrainienne. Un rééquilibrage « à la baisse » s’opèrerait alors. Toujours est-il qu’en observant le marché du transport depuis 2017, la crise semble constituer la nouvelle normalité : ces cinq dernières années, seule 2019 peut être qualifiée d’année « standard » pour les chargeurs.

Dès lors, face à cette nouvelle donne, bp2r a recensé pour vous les bonnes questions à se poser :

  1. Mes schémas de flux sont-ils toujours bien optimisés ?
  2. Mon organisation transport fait-elle le poids ?
  3. Report modal, un nouveau paradigme ?
  4. Quelles évolutions contractuelles anticiper ?
  5. Sourcing & SRM, comment constituer une équipe gagnante ?
  6. Le flux tendu est-il toujours la bonne approche ?

Question #1 : Mes schémas de flux sont-ils toujours bien optimisés ?

À cette question, la réponse sera sans doute dans beaucoup de cas un « non » net et cinglant. À vrai dire, il serait plus juste de se demander si les postulats qui ont présidé à l’établissement de ces schémas sont toujours valides, à nuancer ou à jeter à la corbeille.

Beaucoup de choses ont changé ces dernières années – ou même ces derniers mois – que ce soit en termes de prix, de coûts ou de disponibilité. Les prix du transport maritime ont été multipliés par 6, 7 parfois 10. En comparaison, si le prix du routier est en nette croissance cette année et devrait encore croître en 2022, on parle au pire d’une hausse de quelques points.

Dès lors, la part du pré ou du post-acheminement dans le coût total d’une expédition overseas se réduit considérablement. Si l’on considère également l’encombrement de plus en plus prononcé de certaines lignes maritimes, il devient intéressant de s’interroger sur le recours à des ports européens parfois plus éloignés, mais qui permettent de réduire le coût total de l’acheminement grâce à des coûts maritimes réduits, quitte à augmenter la facture sur le routier.

Ce questionnement est évidemment valable au niveau tactique, avec le rerouting des flux existants dont les implications en interne sont réelles, mais limitées. Idem d’ailleurs en ce qui concerne les flux terrestres et maritimes transitant par l’Ukraine, pour lesquels ils s’agit évidemment de leur trouver une alternative.

Mais la question n’est-elle pas plus profonde ? La plupart des mouvements de fond qui contribuent à raréfier et à renchérir le transport (hausse du prix des énergies fossiles, vieillissement de la population de conducteurs…) ne sont pas passagers. Dans ce contexte, il est crucial de réduire les kilomètres parcourus et d’améliorer le remplissage des moyens (camions, conteneurs) – ce qui permettrait aussi de contribuer à résoudre la crise du réchauffement climatique, la plus importante de toutes. De fait, le COVID, l’Ukraine ne sont-ils pas que les avatars de problèmes plus structurants ?

Dès lors, il ne s’agit plus d’optimisation tactique (refonte des plans de transport, reroutage ponctuel…) mais bien d’un sujet stratégique de long cours. La question que les chargeurs doivent se poser, c’est bien celle du network design, avec toutes ses implications et conséquences : quels sont mes objectifs, mes projections d’activité ? Quelles contraintes opérationnelles ? Quels arbitrages en termes de coûts (remplissage, réduction des distances…) vs service (fréquences, délai…) ou de service vs impact environnemental ?

Question #2 : Mon organisation transport fait-elle le poids ?

Le transport, longtemps, a été considéré comme une simple commodité. De cette considération ont souvent émergé des organisations efficaces, cadencées, mais rigides et mal équipées. En constante situation de crises, l’agilité est clé. C’est un poncif, certes, mais qui a quelques implications très concrètes.

Le premier défi, c’est celui de la qualité de la donnée et de sa bonne circulation. Encore aujourd’hui, la plupart des services transport, y compris de très grandes entreprises, doivent composer avec une donnée éparpillée, hétérogène et peu fiable. Or, rerouter, repenser son réseau, faire du report modal et, de manière générale, toutes les actions utiles en situation incertaine ont certaines conditions : il faut soit être en mesure de réagir rapidement, soit être capable de réfléchir en « profondeur ». Dans tous les cas, une donnée de qualité et immédiatement disponible est indispensable.

En termes d’outils et de process, de nouveaux besoins émergent. En amont, il faut mieux anticiper ses besoins pour être en mesure de se garantir de la capacité sur un marché saturé. Pour être attractif auprès de prestataires de transport parfois en position de force, la régularité des besoins est importante car elle leur facilite la tâche : il faut lisser ses volumes et donc, là encore, prévoir. Le tracking ainsi qu’un ETA fiable permettent de limiter les problèmes opérationnels liés à la saturation des capacités en anticipant mieux les retards, et de gérer au mieux la relation client en fiabilisant les annonces.

Question #3 : Report modal, un nouveau paradigme ?

La saturation capacitaire, l’inflation tarifaire, la hausse des coûts de l’énergie changent-elles la donne économique en matière de report modal ?

La question mérite bien sûr d’être posée, le report modal vers le rail étant par exemple très en deçà des objectifs fixés par nos gouvernements successifs. Une certaine prudence s’impose néanmoins sur le sujet car le fret ferroviaire n’est pas épargné par la situation énergétique, avec la forte hausse des coûts de l’électricité constatée notamment en France. En revanche, la part très importante des dépenses fixes dans la structure de coûts du ferroviaire pourra rendre la comparaison avec le routier plus favorable, lorsque le prix est le principal critère de décision.

Les modes dits “alternatifs”, tels que le ferroviaire et le fluvial, sont largement négligés en raison de désavantages avérés par rapport au routier : moins de flexibilité, des délais plus élevés, peu de traçabilité, des limites en termes de couverture géographique ou de capacité potentielle. Mais ils sont générateurs d’importants gains en termes d’empreinte carbone et le changement des termes de l’équation économique peut désormais faire pencher la balance en leur faveur.

Il est donc important de réévaluer ses options en la matière à l’aune de la nouvelle donne, en interne comme avec ses clients.

Question #4 : Quelles évolutions contractuelles anticiper ?

L’équilibre entre offre et demande sur le marché étant peut-être durablement perturbé, il y a de grandes chances que les contrats signés avec les transporteurs ne soient plus forcément adaptés. Et le levier contractuel est important pour gagner en attractivité auprès des transporteurs.

Un exemple très concret : l’indexation gazole en France. S’il existe une obligation légale à ce sujet, le rythme de mise à jour de l’indice est assez libre et – de ce fait ? – souvent assez lent. Or, la variation des prix du carburant est actuellement très rapide, tant et si bien qu’en forçant le trait, on pourrait estimer qu’il faudrait ajuster l’indice hebdomadairement. En tout état de cause, dans un contexte où les transporteurs sont en « position de force », une approche constructive des chargeurs est nécessaire sur la question.

Et, quitte à entrouvrir une boîte de Pandore : le prix du carburant est probablement voué à rester élevé. Dès lors, des évolutions ne sont-elles pas à prévoir sur le front de la part gasoil, plus encore que de l’indice ? Nul doute que le sujet doit commencer à émerger dans la vision périphérique des transporteurs…

Il y a d’autres évolutions potentiellement durables à craindre et dont les conséquences contractuelles seraient importantes. On peut par exemple anticiper une situation de sous-capacité récurrente. Dès lors, côté chargeur, il faudra réfléchir à des dispositions permettant de se garantir de la capacité : rémunération plus attractive, primes en saison, contrats plus équilibrés. Un comble diront certains, la garantie de capacité étant l’essence même d’une prestation de transport. Mais, encore une fois, la donne a changé.

Enfin, il est capital de donner de la sécurité et de la visibilité aux transporteurs : allonger les durées des contrats , s’engager sur des minimas de volumes, garantir une certaine stabilité des besoins sont autant de dispositions permettant de gagner en attractivité auprès des transporteurs.

Question #5 : Sourcing & SRM, comment constituer une équipe gagnante ?

Dans un contexte de crise, il est bien entendu capital de se pencher sur le pool de prestataires : correspond-il toujours au besoin ? La relation est-elle assez solide dans un contexte capacitaire tendu ? Suffisamment de solutions de secours ont-elles été envisagées ?

Ces sujets sont cruciaux car le transport tend assez nettement à muter, passant sûrement d’une commodité à une ressource stratégique rare. Toutes les transformations potentielles évoquées plus haut (network design, reroutage, report modal ou autres…) impliquent de disposer d’une équipe de prestataires fiable et impliqués. Et c’est au chargeur de se rendre attractif dans ce contexte : les leviers sont nombreux !

Sur l’overseas plus spécifiquement, il peut être tentant de se passer de transitaires et de traiter directement avec la compagnie maritime, afin de se placer dans une position « prioritaire » notamment dans la réservation de slots. Mais, soyons francs, une majorité des entreprises ne sont pas assez matures pour gérer directement leurs flux maritimes. Une option réservée aux chargeurs les plus solides.

Question #6 : Le flux tendu est-il toujours la bonne approche ?

S’il est une vache sacrée qui semble bien difficile à remettre en question chez les chargeurs, c’est bien la politique du flux tendu. Si ses vertus en termes de stocks ont été démontrées, certains des postulats qui ont présidé à sa sacralisation ne sont pas forcément toujours valables. Dans un contexte où le transport est de plus en plus rare et cher, et où cette situation pourrait bien se prolonger, est-il toujours judicieux de limiter le plus possible les stocks au prix d’une dépendance accrue vis-à-vis du fret ?

Miser davantage sur le stock aurait dans ce contexte de nombreux avantages. Cela permettrait de réduire le nombre d’expéditions en massifiant le transport et en améliorant donc le remplissage. De ce fait, les gains économiques seraient significatifs dans un environnement transport renchéri. Par ailleurs, cela diminuerait par le même mécanisme les besoins en transport, réduisant d’autant la dépendance à un marché saturé. Enfin, en jouant son rôle naturel de tampon, le stock réduirait notablement la volatilité des flux, un reflet – parfois hystérique – de la demande, assez décourageant pour les transporteurs. Des stocks régionaux, à proximité des zones de livraison finale, permettent également d’accéder au réseau des transporteurs locaux, en général moins tendus que leurs confrères nationaux.

Bien sûr, un tel changement de braquet a de lourdes implications, tant en termes de réseau logistique, que de coûts de stockage ou d’organisation transport. Sans parler des clients qui pourraient voir la fréquence ou les délais de livraison changer. Là encore, il s’agit de réévaluer les arbitrages en place, et de disposer d’une vision d’ensemble pour prendre les meilleures orientations à moyen et long terme.

À ce stade, il est donc difficile de poser des certitudes. Les pistes de réflexion que nous proposons sont seulement ce qu’elles sont : des pistes. Néanmoins, la situation sur le front du transport n’est plus du tout la même qu’il y a 10 ans, ni même qu’il y a 3 ans. Les crises se multiplient avec en prime, en trame de fond, le sujet du réchauffement climatique… Or, les nouvelles recettes peinent à émerger : cela veut-il dire que les postulats de l’époque sont toujours valables ? Question rhétorique. Tactiquement, il y a des choses à revoir. Stratégiquement, ce sont potentiellement des pans entiers de l’activité transport qui sont à repenser. À quel degré ? À quel horizon ? C’est un autre sujet. Commençons par le commencement : avoir le la lucidité de se poser quelques questions difficiles.

Si vous vous posez certaines des questions que nous venons d’évoquer ou si votre organisation transport rencontre des difficultés liées au contexte décrit, je suis à votre disposition. N’hésitez pas à m’écrire à l’adresse alexandre.vienney@bp2r.eu ou à cliquer sur le bouton ci-dessous si vous souhaitez échanger de façon informelle.