Enquête Chargeurs : Conjoncture du TRM 2022/2023 | AUTF x bp2r
Avec la participation de l’AUTF – Association des Utilisateurs de Transport de Fret
Après une année 2021 en fanfare, mais marquée cependant par des tensions capacitaires majeures, 2022 a été une année encore plus ambivalente pour les chargeurs.
Le conflit russo-ukrainien puis l’inflation généralisée ont entraîné un ralentissement certain de l’activité, mais les raisons structurelles contribuant à raréfier l’offre de transport ne sont pas résolues pour autant. Plus que jamais, l’année 2023 est placée sous le signe de l’incertitude.
Comment cette année a-t-elle été vécue par les chargeurs ? Comment ont évolué les volumes, les prix, le niveau de service ? À quoi s’attendent-ils pour l’année prochaine et comment s’y préparent-ils ?
Lors de ce webinaire, nous vous proposons la restitution ainsi que l’analyse et la mise en perspectives des résultats de l’enquête.
Avec :
- Valérie Cornet – Déléguée aux Transports Terrestres – AUTF
- Xavier Villetard – Directeur Associé – bp2r
Les questions posées pendant le webinaire 👇
Q. La situation capacitaire a l’air de se détendre fortement depuis début 2023, est-ce que cette tendance va se poursuivre ?
À ce niveau, peu de certitudes ! Tout dépend du rapport entre l’offre et la demande. Si celle-ci est soutenue, la capacité disponible se tend. Dans le cas contraire, lorsque le niveau d’activité économique ralentit et que la demande se fait plus timide, les tensions se font forcément moins ressentir. On parle d’activités qui, structurellement, demeurent erratiques dans leur évolution. Difficile donc de faire des prévisions claires.
Q. Voyez-vous une amélioration de la qualité de service dans ce contexte de baisse de tension capacitaire ?
On peut le dire oui, il existe une corrélation évidente entre les tensions capacitaires et tous les aspects de la qualité de service (annulation, report, OTIF). Pour autant, la baisse de tension capacitaire observée reste très récente et comme nous le disions auparavant, pas forcément durable… Encore une fois, il est difficile de percevoir une réelle tendance majeure pour l’instant.
Q. On annonce des baisses de coûts sur le 2ème semestre en Europe. Quid de la France ?
À l’heure actuelle, il nous apparaît compliqué d’afficher une certitude concernant une baisse des coûts du transport. Lorsqu’on se penche sur une structure type des coûts, on identifie en fait peu de signaux qui peuvent nous orienter dans cette direction. Du côté des conducteurs (un poste qui représente environ 28% du coût d’une prestation), pas de baisses de salaires à l’horizon. Même son de cloche du côté du gazole (26% du coût). Et les perspectives sont similaires pour tous les autres postes.
Seul le poste matériel pourrait peut-être bénéficier d’un retour à la normale en fonction de l’évolution de la crise des composants, mais cela n’est là encore pas une certitude.
Q. Concernant l’indexation carburant, quel est l’indice CNR de base raisonnable ? Quelle est la part moyenne à considérer (en % de la part Gasoil dans le prix du transport), en 2023 ?
Ce qu’il faut garder en tête, c’est de travailler en transparence et d’être bien vigilant dans la formule qu’on met en place avec le transporteur : les indices de référence doivent refléter le moment de la négociation du prix. S’il y a un décalage, on fausse tout le mécanisme. Selon le rapport de force et l’historique de la relation, ce n’est pas toujours simple. En revanche, en tant que chargeur, il faut encourager les transporteurs à être transparents là-dessus et bien séparer l’indexation carburant du reste de la négociation.
En général nous préconisons de se baser sur le prix CNR gazole cuve moyenne mensuelle.
Pour la part moyenne, cela dépend des spécialités de transport. Sur la longue distance (semi-remorque), le CNR préconise 26,5% de la structure de coût en 2023. Pour du transport régional, 25%. On peut se référer directement au site du CNR, ou la DIREM pour les autres énergies.
Q. Est-ce que l’indice de base doit être revu lors des renégociations ou doit-on conserver celle qui avait été mise en place lors de la contractualisation commerciale ? Quelle est la moyenne actuelle appliquée en % en termes de surcharge carburant ?
Non pas nécessairement ! Il n’est en tout cas pas obligatoire de conserver ou de modifier l’indice de base. Cela fait tout simplement l’objet d’un accord de grès à grès entre les parties.
Sur le sujet de la surcharge carburant, les choses sont extrêmement variables d’une entreprise à une autre. Cela dépend de la méthode d’indexation carburant qui, là encore, a été contractualisée avec les prestataires.
Q. Pouvez-vous citer quelques textes réglementaires récents au sujet de l’indexation carburant sur facture ?
Depuis le 1er janvier 2023, le champ d’application de l’indexation a été modifié :
- Toutes les énergies sont concernées, et l’indexation est également applicable pour le groupe froid dans le cas de la température dirigée, pour les nouveaux contrats
- À défaut de stipulations contractuelles : indices du CNR, par défaut ceux du gazole
- Voir en détail : Code des transports Articles L3222-1 et L3222-2 – version au 1er janvier 2023
Q. Sur l’évolution des prix de + 4,4% en 2023, avons-nous la ventilation de tendance par catégorie de transport ?
Dans les détails de notre enquête, publiée prochainement dans son intégralité, l’évolution moyenne des prix du transport se ventile comme suit :
- +5,5% sur la température dirigée.
- +4,7% sur le vrac solide.
- +5,4% sur le vrac liquide et pulvérulent.
Q. Au-delà des revalorisations records, voit-on une distinction entre l’impact subi par les chargeurs en fonction de l’ancienneté de leur relation commerciale avec leur transporteur ? L’impact est-il positif ou négatif ?
On aurait tendance à répondre par la positive. Dans un marché sous capacitaire, les chargeurs qui ont construit des relations commerciales durables et de confiance avec leurs transporteurs s’en sont généralement mieux sorti que les autres !
Q. En termes d’augmentation contractualisée, quels axes de négociation peut-on envisager ?
Nous l’avons vu dans ce webinaire, les hausses de prix sont avant tout la conséquence de la hausse de coûts. Les coûts de transport ont continué à évoluer de manière massive, pour toutes les raisons que nous avons citées (coût de la main-d’œuvre, prix du gasoil…). Il est difficile de s’en extraire.
Dans les échanges avec son panel de prestataires, il faut pouvoir mettre en évidence des éléments qui vont aider le transporteur à vous répercuter une hausse tarifaire qui sera moins significative. Il faut évidemment travailler sur la relation de pérennité, et surtout trouver un certain nombre d’axes qui permettent de fluidifier les opérations. Les dernières enquêtes que nous avons menées auprès des transporteurs le montrent, un transporteur, ce qu’il cherche avant tout, c’est d’éviter d’avoir un véhicule, un conducteur, mobilisé pour attendre sur un site en chargement/déchargement. Il faut qu’il puisse opérer plusieurs rotations avec des temps de chargement raisonnables. C’est important de travailler de manière collaborative avec vos transporteurs.
D’autre part, on parle beaucoup de la pénurie de conducteurs. Le chargeur qui va faciliter la vie du conducteur, permet au transporteur de rester attractif pour embaucher de nouveaux conducteurs mais aussi de pouvoir fidéliser ses propres conducteurs.
Q. Les études se basent souvent sur un fret « standard ». Pour les sociétés dont l’activité repose sur du fret atypique, difficilement mécanisable, les impacts des hausses de prix ne sont-elles pas moins « négociables » ?
On parle ici clairement de réseaux, car cela concerne directement le transit entre deux tractions sur une agence. En effet, les activités qui ne sont pas « manutentionnables », à l’aide de transpalette ou sur des chaînes de tri automatique pour les colis par exemple, souffrent à la fois de leur spécificité et de leur manque d’attractivité pour les transporteurs. Cela laisse moins de marge de négociation et peu d’alternatives pour les chargeurs concernés…
Q. Un transporteur peut-il refuser d’appliquer un indice négatif ?
Oui, il peut le faire. On en revient à l’accord de grès à grès entre les parties. Cela reste une pratique plutôt marginale, mais certains acteurs du marché ont tendance à refuser les pieds de factures négatifs, ce qui ne semble légitimement pas très juste… Le principe est normalement de répercuter l’évolution des coûts sur le prix dans un sens comme un autre. Cela devrait normalement être le strict reflet de l’évolution des coûts.
Q. Où en sont les chargeurs français quant à la prise en compte du critère environnemental par rapport à leurs confrères européens ? Quelles sont leurs attentes concrètes sur cet enjeu et les axes à prioriser (report modal, moyens alternatifs, optimisations du transport…) ?
On a plutôt le sentiment que les chargeurs français ne sont pas à la traîne par rapport à leurs collègues européens. Le succès de la démarche FRET21 est un exemple qui le montre (à notre connaissance, il n’existe pas de dispositif similaire ailleurs en Europe) , tout comme la réglementation, légèrement en avance sur le sujet de la décarbonation (mais encore parfaitement insuffisante au regard de ce qui devrait être fait…).
Dans le cadre d’un processus d’achat, on peut identifier trois familles de leviers de décarbonation applicables : la décarbonation du mix énergétique, l’efficacité énergétique (réduire la consommation énergétique sans changer d’énergie, par exemple, le référencement de transporteurs labélisés Objectif CO2), et enfin le report modal (le basculement vers des modes de transport à plus faible empreinte carbone, comme le recours au combiné rail-route).
Il existe deux autres « familles » de levier de décarbonation sur lesquelles les chargeurs ont la main : la densification du transport (augmenter le taux de remplissage) et la sobriété du transport (réduire les tkm en travaillant sur la distance parcourue et ou le poids transporté).
Enfin, en prenant de la hauteur, il faut insister sur l’importance de la transparence et d’un partage d’information régulier entre chargeurs et transporteurs. Certains chargeurs semblent prêts à tester de nouvelles solutions et à investir dans ce sens. La collaboration entre toutes les parties prenantes est essentielle.
Q. Au niveau des principales attentes des directions générales, on voit bien l’importance que peut prendre la réduction des émissions de GES pour les chargeurs, lorsque dans le même temps, on constate une diminution du recours aux véhicules « green » au rang des leviers envisagés pour 2023. Quelle est votre analyse ?
On voit là l’effet de la problématique de l’accès aux solutions décarbonées. On parle d’un marché naissant, avec des solutions qui ne sont pas encore extrêmement généralisées (B100, XTL, bio GNV…). Pour autant, les véhicules green sont extrêmement contributeurs de la réduction des GES (on parle de plus de 80% de réduction d’émissions). Si le marché reste encore confidentiel, l’effet de levier qui lui est associé est très fort et va inévitablement s’accélérer dans les prochaines années. On le rappelle, la réduction des émissions de GES ne passe pas que par la décarbonation du mix énergétique, même si c’est un passage obligé si on ambitionne d’atteindre la neutralité carbone…
Q. L’exigence des chargeurs par rapport à la digitalisation des transporteurs, notamment sur l’enjeu du suivi en temps réel des informations relatives au transport, est-elle toujours un enjeu majeur ?
Oui, la digitalisation facilite la collaboration avec les transporteurs, pour l’optimisation des flux de palettes, la progression dans leurs opérations, la vision en temps réel, la communication avec le client aussi.
Nous savons que les budgets sont un peu contraints en ce moment et les entreprises ont peut-être un peu plus de mal à se lancer, parfois il y a beaucoup d’adaptation qui est demandée aux équipes, même sur des petits outils, et cela peut entraîner des freins. Mais globalement la tendance de fond est toujours présente.
Le transport reste un secteur encore assez peu digitalisé comparé aux autres pans de la Supply Chain. Il y a un vrai challenge dans les prochaines années à accentuer la digitalisation du secteur. Toute la partie track & tracing fait partie des enjeux de la digitalisation plutôt prioritaire pour chargeurs mais aussi les transporteurs. Les projets de digitalisation chez les transporteurs ne nécessitent pas de déployer forcément des grosses solutions, très complexes ou lourdes comme du TMS, il est possible aussi d’avoir recours à des plateformes plus accessibles, plus rapidement déployables. Elles peuvent créer beaucoup de valeur ajoutée à l’entreprise, sur des processus précis, en fluidifiant les opérations, en apportant de la productivité.
Q. Vous évoquez les leviers « quick wins », pouvez-vous en citer quelques exemples ?
Au rang des “quick wins” plutôt techniques :
- Fréquence de livraison ;
- Quantité minimale de commande ;
- Taux de remplissage des véhicules ;
- Hauteur de palette et dimensions compatibles avec les gerbeurs ;
Ce sont des sujets qui restent rarement traités dans les entreprises car complexes à appréhender, ils nécessitent une approche souvent très analytique et donc de passer beaucoup de temps sur la donnée ; de comprendre la situation et d’identifier les éléments à débloquer au sein de l’organisation et au sein du process pour déployer ces leviers. C’est aussi là que se matérialise tout l’apport de la digitalisation, qui permet aux équipes de dépasser la complexité liée au traitement de la donnée pour se concentrer sur la prise de décision et l’optimisation concrète !